Pour ceux qui ne connaissent pas, le go est un jeu de plateau d'origine asiatique. La surface de jeux est constituée d'un simple quadrillage le plus souvent de 9×9, 13×13 et 19×19 lignes. On y joue en posant des pierres sur les intersections. Noires pour le joueur qui commence et blanches pour son adversaire, le but étant de définir le plus de territoire possible. Mais mon objectif n'est pas de vous enseigner les rudiments de ce jeux passionnant. Pour les plus curieux d'entre vous, ce cours est assez bien fait pour commencer.

En réalité, ce billet est motivé par une l'altercation que j'ai eu avec un joueur durant une partie par internet. Mais pour comprendre les tenants et les aboutissants de l'histoire, je dois tout de même expliquer certaines notions concernant le go, notions qui font d'ailleurs souvent l'objet de proverbes :

The game plays itself, the players don't control it. (Audouard, Pierre)
La partie se joue elle-même, les joueurs ne la contrôlent pas.
Ce n'est que trop vrai et c'est en partie ce qui fait le charme du go, il est souvent difficile de prévoir ce que répondra l'adversaire donc difficile de planifier quoique ce soit. Mais c'est le jeu et ce n'est pas une raison pour ne rien tenter.

There are possible things, impossible things, and things that happen. Sometimes things happen that were impossible. (Audouard, Pierre)
Il y a des choses possibles, des choses impossibles, des choses qui se produisent. Parfois, des choses se produisent qui étaient impossibles.
Effectivement, il arrive qu'un groupe soit mort[1] et que par une erreur d'appréciation de l'adversaire on arrive à le sauver. Ce n'est pas une manière très élégante de faire vivre un groupe, mais on fait tous des erreurs et cela fait parti du jeu.

You have to like to win, and to learn to recognize the errors that gave you the victory. (Audouard, Pierre)
Vous devez aimer gagner, et apprendre à reconnaître les erreurs qui vous ont donné la victoire.
De ce côté là, j'aime gagner c'est sûr, et ce billet va justement vous montrer les erreurs de mon adversaire qui m'ont donné la victoire.

Autre chose encore, et je n'ai pas de proverbe pour celà, mais à l'instar du jeu d'échecs et encore plus pour le jeu de go, il est très mal vu de jouer une partie perdue jusqu'au bout. En effet, pour celui qui gagne, c'est un peu comme de voir agoniser un mourant. On est mal à l'aise, et on aimerait bien que ça se termine vite. (Les novices sont excusables, car il n'est pas toujours évident pour un oeil non exercé de se rendre compte qui mène)
Abandonner n'est donc pas un signe de faiblesse, il s'agit juste d'avoir la sagesse de reconnaître l'évidence. C'est aussi une des "bonnes manières" au go.

Maintenant regardons ce qui s'est produit dans la partie qui a motivé ce billet. Bonnes Manières - Coup 148

Voici l'état de la partie au coup 148. Je joue noire et il est indéniable que les pierres marquées d'un carré sont mortes, et je suis pleinement conscient que j'aurais du abandonner la partie. Seulement, je voulais tenter une dernière chose pour m'en convaincre (un début d'agonie probablement). J'ai donc joué O18 au coup précédent, dans l'idée de gagner suffisamment de libertés pour attaquer le groupe blanc de K17 à N18. Blanc a connecté en M18, puis j'ai joué comme vous le voyez P18. Bon croyez moi sur parole même si vous n'y comprenez rien, ma tentative était vouée à l'échec. Je me préparais donc à abandonner la partie, mais mon adversaire me tint alors ce language :

white [3k]: you want to trick me into losing?
white [3k]: come on
white [3k]: can you please resign?

Que je traduirais par :

white [3k]: avez-vous l'intention de me duper jusqu'à me faire perdre?
white [3k]: je suis votre serviteur
white [3k]: auriez-vous l'obligeance d'abandonner s'il vous plaît?

Seulement, ma tête monta légèrement en température car, autant continuer une partie perdue en espérant une erreur adverse [2] n'est pas faire preuve d'un bon esprit de jeu, autant demander à l'adversaire d'abandonner est faire preuve d'une prétention qui me fut relativement intolérable.
En effet, je trouve que regarder son adversaire agonisant de haut en lui crachant d'abandonner est encore plus déplorable que d'espérer une erreur de l'adversaire pour revenir dans la partie. D'ailleurs, on fait tous des erreurs durant une partie, certes la mienne était fatale, mais vous imaginez si votre adversaire vous demandait d'abandonner à chaque erreur que vous faites?
De plus, mon adversaire était 3kyu, c'est-à-dire 3 niveaux au dessus de moi (je suis 6kyu en moyenne) [3]. Il devrait donc avoir la sagesse de tout simplement jouer la partie jusqu'à me montrer que j'avais tord. D'ailleurs je prévoyais d'abandonner s'il me montrait que ma tentative échouerait.

Bonnes Manières - Coup 200

Seulement, aveuglé par sa propre prétention, le pauvre fit deux erreurs stupides qui me permis de sauver mon groupe, et au coup 200 de lui montrer que j'étais parvenu à tuer son groupe. Il abandonna la partie en me traitant de tous les noms et en me prouvant que j'avais tord de ne pas abandonner.

Moralité, le go est un jeu où l'on se doit de respecter les choix bons ou mauvais de son adversaire au risque de ne pas voir que nous ne sommes pas sans faille.

J'ai mis la partie en annexe pour ceux qui ont un éditeur SGF

Notes

[1] un groupe est dis mort quand toutes les intersections adjacentes à celui-ci peuvent être comblée par les pierres adverses

[2] ce que j'ai justement fait — enfin pas tout à fait, j'avais pas lu la séquence jusqu'au bout donc j'étais plutôt dans l'expectative

[3] les niveau en kyu se compte à l'envers contrairement aux dans. Pour résumer : 30kyu < 1kyu < 1dan < 9dan < 1dan pro < 9dan pro